Comme cadeau de bienvenue, mes logeurs de Saint-Martory m’ont offert un panier de pommes-poires. Ils voudraient m’en remplir les mains, le lendemain, à l’heure du départ. Je les remercie profusément mais décline. Pas question de me charger davantage alors que j’aborde l’étape la plus longue, sous le soleil le plus chaud de la semaine.
J’ai pris un café chez eux et m’attable pour le deuxième chez Kiki, un bistrot de pays — à l’entrée de Saint-Martory ou à la sortie, c’est selon — dont la terrasse fleurie m’inspire confiance.
Aussitôt, la patronne m’aborde. La Via Garona, elle connaît bien. Les randonneurs sont nombreux à se rafraîchir dans son établissement.
Je quitte Saint-Martory par le pont emprunté hier. La végétation des berges paraît presque automnale ; c’est l’effet conjugué de la lumière dorée et de la sécheresse.
Aussitôt après le pont, la route se redresse ; elle se cabre plutôt. Mon ombre au sac à dos se projette sur un mur de pierres bien appareillées. Avec les photos de réclames peintes, les photos de murs sont une autre de mes collections. Ils sont en briques ou en galets, ou les deux combinés ; ils affichent de soigneux alignements de pierres, ou des pierres en désordre, jetées pêle-mêle dans un bain de mortier. Tous sont beaux à voir.
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J’ai réuni pareillement une collection d’images de fleurs, de porches et de seuils de maisons, d’enseignes et de devantures… glanées toutes en marchant.
Ma collection de fleurs champêtres sur la Via Garona.
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Ma collection de seuils de maisons sur la Via Garona.
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Ma collection d’enseignes et de devantures sur la Via Garona.
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Après avoir pointé vers le nord, vers l’est et vers le sud, le sentier-girouette met le cap à l’ouest, franchement cette fois. J’abandonne le goudron pour un sentier comme les marcheurs les affectionnent : frais, ombragé, musard, et sans aucune efficacité puisqu’il ne cesse d’escalader des collines qu’il dévale ensuite.
Les Pyrénées s’approchent lentement. Au premier plan défilent des prairies émaillées de fleurs, des champs moissonnés, des granges et des colombiers. La journée s’annonce splendide.
J’ai trente kilomètres à marcher et pourtant, je ralentis. Tout est prétexte à tomber mon sac : la rencontre d’un lavoir ou de meules de foin peut suffire.
Enfin, la grande étape du jour, l’abbaye cistercienne de Bonnefont, se profile sur un rideau mouvant de forêt. Je m’y rends ce matin et j’y reviendrai, dans quelques jours, pour compléter mon reportage. Ainsi connaîtrai-je l’abbaye aux heures d’ouverture du site, parmi les touristes qui déambulent, et l’abbaye comme la découvre le randonneur matinal : silencieuse et pure au commencement du jour ; proche, aussi, puisque le chemin passe tout près.
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Lors de ma première visite, je n’ai pas osé pénétrer dans le jardin. Mais j’ai cueilli mon dessert à même la branche : quelques prunes violines, glanées sur les arbres de l’allée principale.
De l’eau coulait alors dans la vasque de l’ancien cloître. Quand je serai de retour, il n’y aura plus une goutte au fond du bassin. La faute à une bulle d’air dans les canalisations, semble-t-il, mais aussi au soleil qui frappe dur depuis le début de l’été.
La guide-conférencière Aurélie Gonzalez et Bruno Habay, responsable du jardin médiéval, m’accompagnent dans l’exploration de l’abbaye.
Leurs connaissances s’ajustent : Aurélie maîtrise l’histoire du site sur le bout des doigts, tandis que Bruno pourrait le disputer aux moines cisterciens quant à la science des plantes et de leurs usages.
C’est au tour de Bruno de m’ouvrir le jardin de Bonnefont, en partageant les secrets des plantes à usage culinaire ou médicinal qui sont sa spécialité.
Je quitte Bonnefont d’un pied alerte, les gourdes pleines et les yeux repus de merveilles.
Une fois dépassé l’abbaye, le GR se hisse au sommet des collines pour dérouler, sur plusieurs kilomètres, une splendide frise pyrénéenne.
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À Castillon, une table d’orientation permet d’étiqueter les reliefs, pour moi tous anonymes. Soit, en effet, je ne connais pas ces montagnes, soit j’ai oublié leurs noms. Mon sens de l’orientation est bien plus affûté que ma mémoire toponymique.
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Champêtre, telle est l’épithète qui définit le mieux le paysage sous mes yeux. Il se compose de forêts, de ruisseaux, de champs de tournesols, de troupeaux de vaches, de greniers poudreux, de pistes sinueuses ; une route secondaire ou un passage à niveau s’invitant parfois dans ces charmants tableaux de campagne.
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Vers la fin d’après-midi, Saint-Gaudens est en vue. Le soleil tape si dur que je ne vois rien à travers le viseur de l’appareil photo. Tout est d’un blanc éblouissant. C’est donc à l’aveugle, et au jugé, que je saisis l’image de la voie ferrée longée dans les derniers kilomètres.
Ces lunettes fumées, d’ailleurs, me glissent sur le nez à cause de la transpiration. De la sueur tremblote dans le bas des verres et me brouille la vue. Tous les cinquante mètres, je dois secouer la monture.
Au propre comme au figuré, l’horizon s’éclaircit quand j’aborde la ville.
Saint-Gaudens jouit d’une belle situation qu’on apprécie mieux encore devant une chope de bière. Un certain bar de la place Napoléon dispose d’un balcon où il fait bon s’asseoir pour contempler la montagne du Cagire dans le lointain.
Vue depuis la place Napoléon, au coucher du soleil
Le même panorama, peu après l’aube.
De Saint-Gaudens, les pèlerins connaissent surtout la collégiale romane, flanquée d’un cloître et d’une salle capitulaire magnifiquement restaurés. Voilà dix siècles qu’elle accueille les marcheurs en chemin vers Compostelle ; qu’elle les réchauffe, plutôt, à la lumière dorée de ses murs de calcaire.
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C’est une joie et une fierté de vérifier devant certains chapiteaux du porche, finement ouvragés, que nos tailleurs de pierre maîtrisent toujours leur art et n’ont rien à envier à leurs confrères médiévaux.
Moins connue, mais très fréquentée autrefois, est la chapelle romane Saint-Jacques à quelques rues de là. Ce petit édifice, désacralisé, est devenu un centre d’art contemporain.
Au matin du lendemain, je quitte Saint-Gaudens sous les fanions du tour de France, passé ici le mois dernier.
Un complexe sportif borde les eaux pures du lac de Sède, au pied de la colline. Des joggeurs font le tour du plan d’eau. Quatre, cinq fois ; toujours dans le même sens… J’aimerais les entraîner vers d’autres chemins, d’autres courses que cette boucle domestique.
Ils pourraient, par exemple, longer au petit trot le canal de Camon, qui se jette dans la Garonne non loin de là.
L’occasion pour eux de jeter un œil aux vestiges méconnus d’une grande villa gallo-romaine du IVe siècle, la Nymfius. Clôturée, elle n’est pas ouverte aux visiteurs mais l’est aux chèvres, qui errent parmi les décombres en broutant l’herbe jaunie. Des pilastres et certains dallages sont en marbre de Saint-Béat.
Dans la plaine, les voies d’eau comme de terre sont rectilignes. Le canal file tout droit. Idem, la route que je prends vers Labarthe-Rivière.
Ce village dispose d’un bureau de poste dont je n’ai pas l’usage et d’un restaurant fermé pour congés. Je ne trouve pas d’eau ni de pain. Des panneaux me font sourire.
J’allonge le pas vers les collines boisées qui ferment l’horizon. Le paysage prend un tour montagnard. Malgré l’altitude modeste, la texture de l’air a changé. Des parfums de fleurs et de tourbe pénètrent mes narines, plus forts à chaque inspiration.
Alors, la forêt se referme sur moi.
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Je subis une piqûre de moustique, la première depuis mon départ de Toulouse. C’est un fait mystérieux : ces anophèles qui infestent mon jardin de Pibrac semblent épargner la Via Garona. Parvenu au col de Lauach, je dois m’asperger de lotion tout en repoussant à coups de chapeau les assauts des aiguilles volantes.
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Pas question d’étaler ici ma nappe de pique-nique. Je marche encore une heure avant de repérer un site favorable : un champ venteux et ombragé, à bonne distance du sous-bois grouillant d’insectes.
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C’est l’endroit parfait pour fuir la chaleur. Si j’avais le temps, si je pouvais déployer ma tente et dormir où bon me semble, je m’attarderais dans ce champ jusqu’au soir. L’idéal, chaque jour, serait de suspendre la marche vers onze heures, quand la température dépasse les vingt-neuf degrés, et de la reprendre à dix-neuf heures, dans la relative fraîcheur du crépuscule. À ce rythme, ma progression serait plus lente, bien sûr, mais aussi plus confortable.
Pourquoi ai-je réservé ce logement qui m’impose une cadence épuisante ? Pas le choix. Je me remets debout et entame la longue remontée d’une vallée sous le soleil.
Un joli village, Barbazan, s’accroche à la colline. J’observe avec envie les balcons tournés vers la montagne. Quel bonheur de prendre son café devant un tel tableau !
Saint Michel est le patron de Barbazan. C’est une mission qui, entre 1850 et 1880, aurait érigé cette statue de l’archange.
Une surprise m’attend au détour du chemin : une chapelle inachevée que je prends, à tort, pour une chapelle en ruine. Elle a surgi des arbres comme un temple oublié. Pour un peu, je croirais faire sa découverte, alors que le sentier passe tout près et que des milliers de randonneurs l’ont rencontrée avant moi.
J’apprends que la chapelle est l’œuvre — inaboutie, donc — d’un prêtre venu en cure à Barbazan. Quelques pas plus loin se révèle en effet un vaste parc thermal avec son kiosque-buvette, son portique, ses annexes.
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L’établissement a fermé ses portes en 2001 mais fait l’objet, depuis quelques années, d’un projet de relance. Il y a peu encore, le public pouvait puiser l’eau minérale coulant d’un globe dans le kiosque-buvette, et bénéficier ainsi de ses nombreuses vertus. On prête à l’eau de Barbazan une action souveraine contre les affections biliaires, intestinales et nutritionnelles. Dès l’Antiquité, elle était réputée « libérer les entrailles » : ainsi l’écrivait, au premier siècle de notre ère, le géographe Strabon qui qualifiait d’« admirable » cette eau coulant « au coude de la Garonne ».
Las ! Lors de mon passage, un panneau défendait la consommation de cette eau salutaire. Le kiosque était même placé sous la surveillance d’une caméra. Tant pis pour ma gourde…
Strabon disait vrai. La Garonne, près de Barbazan, prend un virage à quatre-vingt dix degrés. Elle oblique plein ouest avant, un peu plus loin, de se diriger plein nord.
Les routes et le rail suivent son exemple, en se faufilant dans les vallées. Ainsi la ligne ferroviaire de Montréjeau à Luchon, bientôt rouverte à la circulation de trains à hydrogène.
Ce sont les derniers kilomètres de la Via Garona et je prends mon temps. La chaleur m’impose, de toute façon, de m’arrêter souvent pour boire.
Dès qu’apparaît un banc, une pierre, j’y jette mon lourd sac à dos et prélève, à égalité dans les deux gourdes pour en équilibrer le poids, un bon quart de litre d’eau tiède.
Enfin, la voici… La basilique Saint-Just de Valcabrère, splendide église romane datée, comme beaucoup d’édifices remarquables sur la Via Garona, des XIe et XIIe siècles.
la basilique Saint-Just a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, au titre des « chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France ».
Une émotion sincère me gagne à l’aspect de ses lignes pures, de son clocher dépouillé, de son abside aux justes proportions. C’est une composition à laquelle l’entourage de l’église, décrit par certains comme un « décor toscan de cyprès et de vignes », confère un surcroît d’élégance. Si les cathédrales gothiques peuvent se passer d’arbres dans leur voisinage, l’art roman, lui, a besoin de la nature pour s’exprimer.
Tant me séduit la gracieuse basilique, j’en oublierais presque la cathédrale Notre-Dame de Saint-Bertrand-de-Comminges qui marque pourtant le terme de mon aventure. Avouons-le, sa silhouette robuste, puissante, presque revêche, m’évoque davantage une forteresse qu’un lieu de culte.
Est-ce un soupçon de crainte devant ce bâtiment intimidant, en haut de sa colline ? Ou bien le goût de retarder l’arrivée ? Je tourne longtemps autour de Saint-Bertrand sans entrer dans le village.
Quand je me décide enfin, je vais droit à la cathédrale, par le chemin le plus court qui est aussi l’escalier le plus raide.
Me voici tout en haut. J’abandonne mon sac sur un banc de pierre, me rafraîchis le visage au jet d’eau. Des touristes font des photos, comme moi. Je voulais m’asseoir au café en face de l’église, mais il y a du monde et aucune table ne se libère.
Tous ces gens, j’aimerais leur crier ce que je viens d’accomplir : les 189 kilomètres marchés par tous les temps, dix heures par jour, sur cet itinéraire frayé par des foules de pèlerins depuis le début des âges chrétiens ! La Via Garona in extenso, de Toulouse à Saint-Bertrand-de-Comminges ! Pas un exploit, certes, mais une solide promenade qui devrait, à tout le moins, me donner la priorité pour commander une bière !
C’est tout ? C’est tout, oui. Les arrivées déçoivent toujours. C’est pour les départs que nous autres, marcheurs, mettons un pied devant l’autre.
Tout de même, il faut bien marquer le coup. Alors, les jambes gourdes et refroidies, d’un pas dansant de somnambule, bousculant les passants avec mon gros sac à dos, je descends la rue de la Porte Majoue et m’offre, en récompense… une superbe glace à la noix de coco.
Olivier Bleys
Sur la Via Garona
Du jeudi 28 juillet au mardi 2 août 2022